Ah, la Croisette. C’est son moment, au mois de mai. Ce tapis rouge, ces montées des marches, ces robes féériques, ces costumes impeccablement coupés. Et cette Grande Bouffe. En 1973, ce film réunissant une pléiade de stars dans un huis clos des plus oppressants a fait trembler les festivaliers, pour ne pas dire autre chose.
Marco Ferreri a écrit et réalisé ce long métrage. L’iconoclaste cinéaste italien (1928-1997) n’en est pas à son coup d’essai sur la société de consommation de son temps. Mais ce film demeure son coup de maître. Dérangeant, dégoûtant, macabre… Un vrai scandale comme Cannes les aime.
Grande bouffe sur tapis rouge
Ce 22 mai 1973, la foule envoie sur l’équipe du film des poulets et des brochettes à tête de mort. Les huées grondent, la critique se déchire. C’est que la France de Pompidou, même post-68, a du mal avec cet ovni cinématographique.
L’histoire que raconte ce film ? Un long banquet, qui se tient dans un hôtel particulier parisien. Quatre notables visiblement en crise, décident de se faire une orgie, une vraie. Avec le sexe et la nourriture, jusqu’à n’en plus pouvoir.
Les interprètes de cette histoire se trouvent au sommet de leurs carrières respectives : Ugo Tognazzi n’a pas encore intégré la cage aux folles, il joue un patron de restaurant, auteur de tous les plats de ces agapes pas comme les autres. Philippe Noiret campe un juge, Michel Piccoli incarne un journaliste télé et Marcello Mastroianni, un pilote d’avion.
Pour le film, ils ont conservé leurs prénoms, ce qui octroie un petit côté documentaire. Cela dit, les vies déjantées et bousculées de leurs personnages aident quand même à les distancier de leurs interprètes.
Une critique féroce
Nous nous trouvons face à une satire de la société de consommation, et de certains hommes saisis du démon de midi, ne pensant qu’à boire et manger, ou consommer des femmes de la même façon que l’une ou l’autre bouteille de vin ou blanquette de veau. Ces hommes qui affirment ne plus avoir rien d’autre.
Ce n’est pas tout à fait cela, les personnages sont des hommes assez sérieusement perturbés, mais ce « séminaire gastronomique » les unit vraiment dans un tourbillon assez funeste.
Alors le film est parfois franchement drôle, pourvu de bruits digestifs, empli du mauvais goût dont son auteur se réclame. Ce titre, la Grande Bouffe, n’y est pas pour rien. C’est vulgaire, parfois glauque, parfois brillant.
Et oui, on y mange. Beaucoup. Des choses fines et belles, préparées par Fauchon, défilent à l’écran… et dans les estomacs des personnages. On y déguste des rôtis de sanglier, de chevreuil, de coquelets. En revanche, la purée n’a pas terminé toujours sa course dans les assiettes. Car la bonne tenue des convives cesse rapidement dans cette Grande Bouffe.
Un film culte
La comédienne Andréa Ferréol – on vous a parlé de sexe – y sert des seins et des fesses en gélatine. Ses formes à elle avaient été gonflées d’ailleurs, le réalisateur ayant obligé l’actrice à prendre 25 kilos pour le rôle. Pour elle, la Grand Bouffe a commencé vraiment très tôt.
On ne va pas vous raconter la fin. Juste la fin de journée des acteurs : quand il y avait des restes, ils pouvaient inviter leurs amis à éviter le gaspillage des ces mets. Un rituel sympathique qui a apparemment disparu des plateaux, et bien avant le Covid.
Marco Ferreri est décédé d’une crise cardiaque assez jeune, à 68 ans. Le film, lui, a remporté le prix de la critique internationale au festival de Cannes cette année-là et les Français lui ont réservé un très bon accueil en salle. Il demeure un des films les plus cultes sur la gastronomie.
La Grande Bouffe, disponible en DVD, Blue Ray, version restaurée