On l’a pas mal vu dans la petite lucarne, avec ce regard bleu. Yannick Delpech est un chef à part. Il l’a toujours été et le revendique ainsi. « Quand j’ai eu la première étoile Michelin [il en a été le plus jeune chef à décrocher deux étoiles en 2008, ndlr], il a fallu qu’on m’explique ce que c’était, je ne connaissais pas ». Passer des dorures du guide rouge à ses racines, c’est son objectif désormais.

Ça ne date pas d’hier, ni de l’épidémie de coronavirus. Pâtissier de formation, chef de cuisine autodidacte Yannick Delpech est aussi un « enfant de la terre ». Sauf que comme beaucoup, en grandissant, il n’a eu de cesse que de s’en éloigner.

Dès l’adolescence, le jeune homme né à Albi intègre les laboratoires de pâtisserie et se forme dans son Sud-Ouest natal. Et il arrive au restaurant l’Amphitryon à Colomiers, dans la proche banlieue de Toulouse. Recruté dans sa filière d’origine, il est rapidement propulsé à la tête de la brigade. Et là arrive ce que d’autres chérissent et caressent dans leurs rêves les plus fous : une étoile Michelin.

Et un macaron. Puis deux.

Nous sommes en l’an 2000, il n’a que 24 ans. En 2008, à 32 ans, il décroche la deuxième et puis quelques années plus tard… « J’étais à Paris pour enregistrer une émission de télévision. Et il y avait la cérémonie du guide Michelin France. C’était une des premières, j’y suis allé. Et ça ne m’a pas plu ». En effet, historiquement, le guide sortait sans glamour ni faste particulier. Jusqu’en 2014.

 

Yannick Delpech au temps de l’Amphitryon. Et du faste des étoiles naît le besoin… d’un dossier de presse, dont on ne sait s’il a un petit frère pour Des Roses et des Orties. Crédit photo : dossier de presse de l’Amphitryon.

 

Yannick Delpech confie être tombé de haut, de voir les partenariats, la mercantilisation. Certains chefs qui n’appréciaient pas certaines marques habillés par elles, sponsorisés, obligés de sourire au milieu de la presse et du gratin gastronomique. C’était une des premières fois que le Michelin faisait une cérémonie, en 2014 ou 2015. La date importe peu, la sensation prime.

« Je n’ai jamais fait de grande maison, explique le chef autodidacte. Et tout ça, tout ce raout, ça n’avait pas de cohérence, pas de sens pour moi. Certains me disaient ‘j’ai pas le choix’, mais si, on l’a ».

Début 2019, l’Amphitryon dont Yannick Delpech était devenu le chef-propriétaire est la cible des gilets jaunes. À l’époque, revêtant son costume de patron de 40 employés, il avait réclamé le droit de travailler sereinement alors que chaque samedi, les manifestations bouleversaient le pays. Après des tags et autres politesses échangées sur les réseaux sociaux, une autre étape est franchie. Deux incendies criminels en un moins d’un mois, le 28 janvier et le 13 février, précipitent la fermeture de l’établissement.

On repart presque de zéro

C’est la goutte de trop : il rend ses étoiles. Et ouvre Des Roses et des Orties en lien et place de l’Amphitryon en décembre de cette même année 2019. « Ça a été un tournant, un gros risque surtout financier. Je suis presque reparti de zéro et d’un ticket moyen à environ 200 euros [la moyenne par convive], je suis arrivé à 50 euros. » Et à la mi-mars 2020, le premier confinement survient, la France se barricade chez elle.

« Après ces mois pénibles face aux gilets jaunes, bim ! On ferme tout. Ma première réaction ? ‘C’est fini, j’arrête’. Et puis je me suis interrogé : que faire pendant les 20 ans qui me restent dans la vie active ? On quitte la ‘gastronomie’ – un terme qu’il faudrait mieux définir à mon sens – et on revient aux racines. Cuisine. Pâtisserie. La vie quoi ! »

Pour le chef toulousain, « tout n’est pas fichu, tout n’est pas perdu. Mais j’ai changé et j’opère encore des modifications. C’est sûr, j’ai moins de salariés aujourd’hui mais je fais des choses avec bien plus d’humain dedans. On revient aux racines ».

« Tout au début du premier confinement, Emmanuel Macron était allé soutenir les agriculteurs, ‘ceux qui nourrissent le pays’. Et il s’était rendu dans cette ferme qui fait des tomates hors sol. Là, je me suis dit que ça n’allait plus du tout en fait. Je n’ai pas été le seul. Et j’ai remarqué que finalement ce Covid allait ouvrir des yeux. Que certains allaient finir par prendre conscience que finalement, il fallait un retour aux racines. »

C’est le début d’une série de vidéos publiées sur les pages Facebook du chef. Mordantes et drôles, elles ont aussi permis de relâcher un peu la pression et l’angoisse qui pesaient sur toute une profession lors de ces semaines d’arrêt total de leur activité.

 

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Des éclairs issus de la pâtisserie salon de thé Sandyan. Un côté magique, non ? Crédit photo : Sandyan par Yannick Delpech.

 

Originaire du Tarn, Yannick Delpech y avait ouvert une table d’hôtes, comme à la maison. Il attend avec impatience le mois de juin pour la rouvrir. « J’ai envie d’un retour à ces valeurs, de la terre, des origines. Y’a peu de choses qui m’intéressent dans la vie, vous savez, mais le vin, la terre, tout ça. Mon frère y est resté, alors que moi, je l’ai fuie. C’est sans doute lui le moins con », rigole-t-il.

Plongée dans l’inconnu

Ouverte depuis 2013 à Toulouse, Sandyan la pâtisserie, désormais dotée d’une boulangerie, n’a évidemment pas fermé. En revanche, le restaurant Des Roses et des Orties, DRDO, va rouvrir. « C’est compliqué. Il faut s’y remettre. Pour l’instant, on va s’échauffer avec la terrasse. Mais on est dans l’expectative. Vous savez, notre métier subit une hémorragie depuis des années déjà. On a plein de CV de pâtissiers. Mais la cuisine, le service en salle, les gens n’ont plus envie de ça. On a très peu de candidatures alors qu’on cherche tous du monde au même moment. C’est à nous, patrons, de faire la différence mais je ne suis pas un grand communicant ! Heureusement que j’ai un noyau de fidèles autour de moi. »

Cela dit, il garde une oreille attentive pour s’informer quand même dans son milieu : « Il y a ce chef, Bruno Verjus. Je viens de l’entendre parler de son bouquin* à la radio. J’aurais 25 ans [né en janvier 1976, Yannick Delpech a 45 ans, ndlr], j’y serais allé avec lui. Il a une approche que j’apprécie. Avant, pour devenir cuisinier, dans ce métier, ‘fallait en chier’. C’était obligatoire mais c’est un truc de cons. C’est un beau métier. C’est n’importe quoi de dire qu’il faut en chier ».

 

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Le retour des cocktails en terrasse, c’est pour bientôt, n’est-ce pas ?
Crédit photo : Yannick Delpech sur Facebook.

 

Alors Yannick Delpech continue son bonhomme de chemin, loin de ceux qu’empruntent d’autres, battus et rebattus. « Je n’ai rien contre le Michelin, aucun conflit avec eux. Ils m’ont beaucoup apporté. Mais aujourd’hui, je vis très bien ma vie sans. J’ai mon potager, j’ai ma pâtisserie, ma boulangerie, on va rouvrir le restaurant et j’ai encore d’autres projets », annonce-t-il, volubile.

« Et vous savez, je préfèrerais arrêter que revenir en arrière. J’avance chaque jour, avec ce retour à la terre, aux racines. Des mecs comme Verjus, que je ne connais pas personnellement, ça me met du baume au coeur. On a tous les deux un cursus atypique. Et c’est très bien comme ça. On va continuer. »

Il faut juste que la clientèle suive. Mais à vrai dire, il y a vraiment peu de doutes à ce propos.

*L’art de nourrir, Bruno Verjus aux éditions Flammarion

Des Roses et des Orties, 28 Chemin de Gramont, 31770 Colomiers. Tél : 05 61 15 55 55.
Sandyan, 54bis rue Alsace-Lorraine, 31000 Toulouse. Tél : 05 61 21 45 64.

Et côté équilibre, tout va bien ?

On mange quoi ?

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