La vocation
À dix ans, je savais que je voulais faire maître d’hôtel, pas cuisinier. Mon kiff, c’était de me lever le dimanche matin à 7h pour préparer les petits pains, la table du petit-déjeuner. Le mercredi, j’allais au salon de coiffure de mes grands-parents pour faire goûter des petits gâteaux aux petites mamies. D’ailleurs, je les arnaquais un peu : j’installais un stand à fausses glaces, je me baladais dans le salon, je proposais des fausses glaces mais je voulais du vrai argent des petites mamies et elles me le donnaient !
J’avais déjà le sens du commerce, je l’ai toujours eu. Tout le monde me donnait, j’avais le sourire qu’il fallait (rires). Trêve de plaisanterie : j’ai toujours voulu recevoir et j’ai toujours aimé faire ça. Je suis issu d’une famille de coiffeurs et je savais que ce n’était pas ça que je voulais faire. J’hésitais entre aller dans la restauration ou devenir fleuriste. Des métiers liés pour moi car le contact clientèle y est très fort, et en même temps, on est dans la créativité, dans la création. Et on y donne du bonheur. La restauration était le vrai alliage de ces deux plaisirs, créativité et contact.
Le début
Le stage de troisième au Vieux Couvent à Rhinau, chez Jean Albrecht (établissement étoilé dans le Bas-Rhin côté campagne, ndlr), j’ai demandé à rester le dimanche, ce qui était hors-la-loi. Mais mes patrons ont bien vu mon envie alors ils m’ont dit que je n’allais pas aider beaucoup, mais m’ont proposé de servir le pain et de débarrasser. Et moi, j’étais aux anges. « Ouah, je vais être avec des clients ! ». C’est ça qui me plaît. J’ai fait des stages en cuisine, je suis gourmand, j’aime manger mais vraiment, ce que je préfère, c’est avoir le contact et le retour direct avec le client. C’est la salle.
J’ai fait ensuite mes études sept ans durant au Cefppa d’Illkirch : CAP, mention sommellerie, bac pro et BTS. J’ai tout fait en alternance. J’étais donc en apprentissage au Vieux Couvent pendant deux ans, puis je suis passé au Crocodile, à Strasbourg. C’était une grande étape car je revenais enfin en ville, une vraie délivrance ! La campagne, ce n’est pas mon truc : je n’ai même pas le permis. Et puis je me rapprochais de mes grands-parents aussi, ils sont très importants pour moi. Mon premier jour au Crocodile, j’étais très introverti et dépaysé.
Je passais de trois personnes en salle à douze, avec une vraie hiérarchie. J’avais l’habitude de longues journées, 9h-16h puis 17h-fermeture, à l’ancienne et ça a été très formateur. Et là, on me dit : « Tu vas faire la fermeture ce soir ». Très bien. Et au service de midi, à 13h30, on me dit que je peux rentrer chez moi. Je me suis retrouvé dehors, place Kléber, je pleurais ! » Qu’est-ce que j’ai mal fait ? Pourquoi ils ne veulent pas que je travaille ?! » Après, j’ai compris le fonctionnement, j’avais des journées moins longues, j’avais le temps de faire d’autres choses pendant mes vraies pauses. Donc j’ai fait des concours : meilleur apprenti d’Alsace, finale internationale des Olympiades des métiers au Canada…
L’entourage
Au Vieux Couvent, j’ai appris les valeurs familiales. Le côté sincère. Considérer l’autre, même s’il est « en dessous de toi », savoir le mettre en avant aussi. Monique et Émile Jung m’ont formé à l’aspect relationnel avec le client. Ils m’ont fait avancer, me faisant comprendre aussi qu’il ne faut pas tirer la couverture à soi. Et si j’ai choisi le haut-de-gamme, c’est parce que j’ai grandi là-dedans avec eux. Je ne sais toujours pas pourquoi ils m’ont pris à l’époque. C’était un coup de cœur réciproque je pense. Entre Monique Jung, Gilbert Mestrallet (directeur du restaurant), et moi. Ils ont dû sentir mon envie.
Et puis Gilbert, le pilier de la maison depuis 40 ans, m’a été très précieux quand j’ai pris la direction du Crocodile. Je savais que je pouvais m’appuyer sur lui en cas de problème. C’était mon protecteur. Il m’a beaucoup transmis, et j’espère transmettre comme lui : toujours mettre l’autre en avant. Et puis, pour lui comme pour moi, c’est le métier avant tout. Et si j’ai pu grandir aussi, c’est grâce à la personne qui partage ma vie, qui a toujours compris que je mettais mon métier d’abord et qui fait comme moi dans le sien. Mais nous sommes toujours là l’un pour l’autre, avec des solutions. Il me protège, lui aussi.
La direction
Quand Monique et Emile Jung ont vendu le Crocodile à Philippe Bohrer, mon apprentissage était terminé, je suis resté en tant que maître d’hôtel. Et puis j’ai rapidement monté les échelons jusqu’à directeur. Je n’avais que 23 ans, je n’avais pas vraiment confiance en moi mais je me suis dit qu’il fallait que je me lance, que l’expérience valait le coup d’être tentée, que j’allais apprendre une foule de choses. J’ai pu travailler vraiment à mon idée.
J’avais la confiance totale de mon patron, je faisais ce que je voulais. Je crois que j’étais le seul directeur de son groupe à qui il laissait une telle latitude. Et je sentais au fur et à mesure que je pouvais le faire. D’autant plus que j’avais une clientèle qui venait pour moi aussi, même si évidemment, tout ça était associé à l’image du Crocodile. Et finalement, les propriétaires de la Casserole cherchaient à vendre, leur maison était exactement ce que je voulais, en centre-ville, moins de 30 couverts. L’occasion s’est présentée, j’ai sauté le pas.
Cédric Kuster et le chef de la Casserole, Jean Roc. Crédit photo : la Casserole/Paola Guigou.
Être patron
Ce n’est pas l’argent qui m’a motivé. Ce n’est pas une fin pour moi, pas du tout. Je savais que je voulais ouvrir mon affaire. Ça faisait cinq ans que j’y réfléchissais. Je voulais avoir quelque chose à mon image. C’est une petite structure, c’est le secret. C’est plus facile que d’attirer 60 personnes à chaque service comme au Crocodile. La clé, c’est l’échange que j’ai avec mon équipe, et singulièrement avec le chef. Je ne sais pas faire ce qu’il fait. En revanche, je sais parfaitement ce que je veux, et la qualité de notre relation, c’est vraiment ce qui fait la différence. Ça rassure.
Et puis je pense aussi que je sais ce que mes hôtes veulent. Des produits de qualité, toujours, la gamme premium. Je me rends compte que pour l’instant, il n’y a eu aucun échec dans cette carrière, juste des déceptions parfois. Comme l’étoile au guide Michelin. Ça a été un vrai coup dur de ne pas l’avoir, mais je m’en suis détaché maintenant. Ce n’est plus une obsession, mais j’étais vraiment très abattu. Je préfère désormais me fixer mes propres critères, pour mon art de vivre à moi.
J’ai ouvert La Casserole, un restaurant qui a beaucoup de standards des étoilés, voire au-dessus sur certains aspects, mais voilà : ce sont mes critères, clairs et nets, qui s’appliquent. Ceci dit, si je l’obtiens, je ne dirai pas non. Il y a enfin une rigueur aussi à avoir, une hygiène de vie. Surtout quand on est entouré de bons produits. Il faut faire très attention à ne pas prendre de mauvaises habitudes.
Le montage
Nous avions un petit apport avec mon conjoint mais il est vrai que j’ai obtenu les financements assez facilement. J’ai beaucoup appris avec Philippe Bohrer et notamment, à bien m’entourer. Donc à chaque étape, je me suis fait accompagner par un avocat d’affaires. Au Crocodile, quand Philippe était en repas ou réunion business, j’ai toujours servi, dans les salons ou autres. J’ai toujours été à côté, il avait confiance. Je me suis nourri de ces enseignements-là : à qui faire appel et au bon moment.
Certes, ça coûte un peu d’argent à l’entreprise, mais au final, on est serein. Et ça, ça n’a pas de prix. Et c’est là que j’ai su aussi que pour cette fois, il fallait que je mette mon nom en avant, pour que la clientèle me suive, par exemple. Mais juste cette fois. Je ne vais pas m’arrêter-là dans l’entrepreneuriat, j’ai besoin de bouger, de projets. Pour l’instant, mon nom est en avant mais ce ne sera pas le cas pour la suite. Je me rends compte que pour l’instant, j’ai réussi tout ce que j’ai entrepris, j’ai beaucoup de chance. Je veux aller plus loin.
La journée
Rencontres avec les fournisseurs, élaboration des menus avec le chef, faire de la communication aussi. Je crée des flyers, je rencontre des journalistes, je gère les réseaux sociaux, etc. Je fais que la Casserole bouge constamment. Il m’arrive aussi de m’asseoir dans la salle, pour avoir le point de vue du client : je vérifie mon espace de travail, tout simplement. Je m’assure aussi que tout va bien avec mon personnel.
Et puis je suis présent à tous les services, pour servir, tout simplement, ou juste pour saluer mes clients. Je fais aussi du relationnel aussi avec les commerçants alentours, les partenaires. Ça devient pénible de sortir avec moi dans Strasbourg pour mes proches, je salue tout le monde, ça prend des heures. Ma journée se termine à 2 ou 3 heures du matin, elle commence à 8 heures. Bon, je me rattrape en dormant le week-end.
Si j’étais un accord mets-vins : un lièvre à la Royale avec un beau Châteauneuf-du-Pape, type Château Rayas. Car je suis un peu sauvage dans mon âme.
Mise à jour : Les récompenses
Le Guide Rouge (Michelin) n’a toujours pas octroyé une étoile à La Casserole version Cédric Kuster et Jean Roc en cuisine. Mais une récompense toute autre est venue combler toute l’équipe. Il s’agit du Trophée Haeberlin, qui voit concourir des équipes du monde entier avec le chef, le sommelier et le service en salle. Coiffant au poteau des équipes venues des quatre coins du monde, La Casserole a remporté ce prestigieux prix en mars 2018 lors du salon Egast. Et ce fut d’autant plus une fierté que c’était la première fois que La Casserole participait, face à des brigades pourvues de deux voire trois étoiles comme Flocon de Sel, le restaurant savoyard du meilleur ouvrier de France Emmanuel Renaut et tenant du titre.
Dans cette même veine, un autre guide, à la couverture jaune cette fois, a octroyé le titre de Jeune Talent Service en salle à Cédric Kuster en février 2019. Il s’agit bien sûr du Gault&Millau.
La Casserole, 24 rue des Juifs, 67000 Strasbourg.
03-88-36-49-68
www.restaurantlacasserole.fr