Auparavant, Olivier Nasti avait fait ses gammes à Eguisheim (autre village typique et touristique de l’Alsace vinicole), dans les brigades de Paul Haeberlin, de la prestigieuse Auberge de l’Ill à Illhaeusern – qui a conservé ses trois étoiles Michelin entre 1967 et 2019 – , de Jean Schillinger à Colmar et d’Olivier Roellinger à Cancale.
Ce parcours a fait de ce Belfortin un Alsacien, le jeune cuisinier est devenu un grand. Meilleur ouvrier de France depuis 2007, pourvu de deux macarons dans le guide rouge depuis 2014 à La Table d’Olivier Nasti, le restaurant gastronomique de son complexe le Chambard (qui compte aussi un hôtel et une winstub, brasserie traditionnelle alsacienne), Olivier Nasti a réussi à accomplir certains de ses rêves de gosse. Toujours au prix d’un énorme travail, sanctionné dans son parcours depuis son premier macaron en 2004 jusqu’à la cinquième étoile hôtelière, sans oublier les livres, les toques et le fameux col tricolore des MOF – les Meilleurs ouvriers de France.
Le chef dans sa cuisine. Crédit photo : Tasty Life Magazine.
« Si tu fais des choses pour avoir des retombées, ça le fait rarement ». C’est la première phrase qu’Olivier Nasti prononce quand on lui pose la question. Elles sont pourtant bel et bien là, les retombées de son travail. Mais davantage que les retombées, c’est le travail en lui-même que le chef apprécie.
Identité
Remontons un peu le temps. Retournons au Caveau d’Eguisheim, dans le premier restaurant qu’il a repris à son nom avec son frère Emmanuel, architecte et sommelier. Le fonds est acheté, la logistique assurée. Tout est prêt. Et maintenant ? « Maintenant, il faut trouver le moyen de faire entrer les clients dans le restaurant. Observer son environnement, identifier qui est susceptible de venir et en faire une cible. Eguisheim, comme Kaysersberg, sont des bourgades touristiques. Et si on veut remplir son restaurant, il faut donner aux touristes ce qu’ils attendent ». Et dans ces étapes de la route des vins d’Alsace, il faut… de la cuisine de produits et de tradition alsaciens.
Une chance pour Olivier Nasti, qui y construit la première étape de sa réussite : « En m’adaptant à cette clientèle, j’ai trouvé ce qui fait réellement la différence pour moi : mon identité de cuisinier. Je suis tombé amoureux de cette région, de son terroir, j’ai décidé de le défendre. Et je me suis épanoui dans cette démarche. Je m’y suis senti tellement bien. Pas besoin d’aller dans une grande ville, de monter à Paris ou je ne sais quoi. Ça a été encore plus flagrant à Kaysersberg : il y a quelque chose qui m’a attiré ici, qui m’y retient car j’y ai trouvé ma place. Et sans cela, on n’a pas de vraie direction, on ne peut pas progresser correctement. L’identité, savoir qui on est, c’est la base de tout pour moi ».
Naturalité
Il y a une tendance forte en gastronomie et cuisine en ce moment, c’est la naturalité, le manger local et/ou bio. Olivier Nasti est attaché à son terroir, mais pas à ce point. « Notre travail est une remise en question permanente, c’est vrai. Nous évoluons sans arrêt, mais nous ne nous interdisons pas l’un ou l’autre produit noble et qui vient de loin, comme cette truffe [il me tend une truffe blanche grosse comme mon poing, que j’ai dû rendre. À regret bien entendu, ndlr]. Une identité, oui, mais elle a ses limites. C’est le goût du client qui nous détermine. Il faut aussi une certaine maturité dans sa cuisine. Et elle vient des repères que nous avons pu poser çà et là. »
Le Chambard, au milieu des vignes. Crédit photo : Khaled Frikha.
Repères
Le principal repère d’Olivier Nasti, c’est la famille. Il travaille d’abord avec son frère, avec leurs épouses respectives, Patricia et Corinne. Leurs enfants connaissent bien les entreprises mais ils sont libres de faire autre chose. « Nous ne les obligeons à rien, et puis c’est une vie très laborieuse. Les enfants sont libres de choisir la voie qui leur plaît », note Patricia Nasti. Et puis il y a un héritage très utile pour le chef d’entreprise : une mère comptable. Olivier Nasti n’a pas oublié qu’être chef-propriétaire, c’est aussi être gestionnaire : « Nous ne sommes pas très nombreux dans la profession à savoir lire un bilan comptable. Moi, si. Et c’est quelque chose d’essentiel dans ma gestion et ma vision ».
Autre repère : l’image qu’il renvoie à ses clients, et qu’il façonne désormais plus naturellement. Olivier Nasti a beaucoup appris, depuis qu’il est à Kaysersberg. Notamment que la communication fait partie de son métier de chef et d’auteur. Et pour gérer cela, il faut des professionnels. Se montrer avec des grandes toques, devenir juré ou coach lors de concours culinaires télévisés (Masterchef, Dans la peau d’un chef avec le pâtissier Christophe Michalak), dispenser son savoir dans l’une des écoles de cuisine les plus cotées de la place de Paris, oui. Désormais, il le fait. Et le montre, mais dans un dosage juste. Terminé le temps où lorsqu’il lançait un livre, on le voyait et on l’entendait partout, la rareté est aussi une vertu. La communication est un métier et elle fait partie aussi du sien : il l’a apprivoisée en la confiant à des professionnels.
Fidélité
Le troisième pilier, c’est la fidélité en amitié, en droite ligne avec ses valeurs familiales. Comme quand il invitait des amis chefs à réinterpréter la tarte flambée à leur façon dans son restaurant dédié, le Flamme&Co, qu’il a vendu à ses anciens employés en janvier 2019. C’est aussi la joie de créer, de jouer avec leurs univers, d’échanger et trois ou quatre chefs le font chaque année. Ce n’est pas juste du marketing, même s’il n’est évidemment jamais loin : un chef-propriétaire ne doit jamais oublier d’être un dirigeant d’entreprise, donc un homme d’affaires. C’est aussi ce qui a mené le jeune Belfortin là où il est : « Business is business »*.
Olivier et Patricia Nasti, son épouse. Crédit photo : Khaled Frikha.
Livres
Le premier ouvrage d’Olivier Nasti, Mon Alsace, s’est plutôt bien vendu. Même si cet éternel perfectionniste fait un peu la moue. Cependant, il a travaillé avec une maison d’édition très pointue sur la gastronomie, exigeante mais peu connue – Menu Fretin, dirigée par Laurent Seminel – et en 2009, sa notoriété n’était que naissante. Quelques milliers d’exemplaires sont tout de même partis, et maintenant, il est introuvable.
D’autres ouvrages ont suivi. Sur la cuisine noire (!), les poissons, la cuisine toute simple de la famille (Comment faire la cuisine), Comment faire la cuisine des légumes est aussi sorti, le tout chez Menu Fretin. Et quelques autres, sur les flammekueches (Olivier Nasti a créé le Flamme&Co à Kaysersberg, restaurant concept où la nouveauté éclate à partir de ce plat traditionnel) ou les mini-kouglofs, dans d’autres maisons d’édition. Le succès de Comment faire la cuisine, qui s’est vendu à plus de 30.000 exemplaires, a conforté le chef dans ce qui demeure… un plaisir. « C’est aussi une histoire d’amitié avec Laurent Seminel. Je lui suis toujours fidèle car nous travaillons très bien ensemble. » Tellement bien qu’ensemble, les deux compères ont remporté le prix de la photo culinaire de l’année en 2011.
Une cuisine d’expressions est aussi sorti en 2017, où il raconte son quotidien et distille bien entendu des recettes pour amateur éclairé, suivant cinq thématiques : Territoire, Nature, Chasse, Technique et Desserts.
Quelle serait la meilleure chose à lui dire concernant ses livres ? « Je me souviens d’une femme. Elle m’avait dit être désolée, le livre était plein de post-its et de tâches de graisse. Mais c’est génial, ça ! Ce ne sont pas des livres de chevet, il faut qu’ils vivent ! »
Son : La genèse du livre Comment faire la cuisine
Le cliché vainqueur du prix de la photo culinaire en 2011, oeuvre d’Olivier Nasti et Laurent Seminel.
Les récompenses
Souvent, on peut lire qu’Olivier Nasti a été « élu » parmi un des Meilleurs Ouvriers de France en 2007. C’est mal connaître le système qui permet d’obtenir le fameux col tricolore. C’est un concours, en plusieurs étapes, avec des épreuves écrites et pratiques, et les candidats sont jugés par leurs pairs. On reste MOF toute sa vie, c’est aussi un diplôme et tous les quatre ans, des centaines de professionnels tentent leur chance dans leurs métiers respectifs. Les promotions ne comptent que quelques dizaines de lauréats, c’est dire l’exigence de la chose. Olivier Nasti a obtenu ce Graal lors de sa troisième tentative.
En effet, rares sont ceux qui l’obtiennent du premier coup. « Quand on a une étoile, puis deux en ce qui me concerne, c’est le travail d’une équipe qui est récompensé. En revanche, pour le MOF, c’est un titre qu’on décroche seul. Et il est venu ponctuer une belle progression ».
Patience
Car il faut être patient. Olivier Nasti décrit son travail comme harassant mais chaque matin, il est bel et bien là, dirigeant son équipe : « C’est une remise en question quotidienne, il faut motiver les équipes. Alors bien sûr, une bonne note au Gault&Millau ou une deuxième étoile, c’est fantastique, cela faisait partie de mes rêves et c’est aussi fantastique pour mon équipe. Mais ça vient après le travail, après une longue période de travail. Rien ne vient du jour au lendemain. Seul le travail paie, de toute façon. Mon ambition à moi, c’est qu’on considère que ma maison est parmi les plus belles d’Alsace, que ma table soit considérée comme l’une des plus belles de France. C’est ça, mon moteur ».
Dans le guide Michelin 2016, il y a 488 restaurants pourvus d’une étoile, mais seulement 81 qui en comptent deux. On peut dire que le chef n’est pas loin d’avoir atteint son objectif. Et cette impression s’est confirmée récemment.
Fin 2016, ses pairs l’ont élu parmi les meilleurs 100 chefs du monde 2017, à l’invitation du magazine Le Chef : « C’est un travail d’équipe et c’est une surprise complète ! C’est cool, c’est plus que cool, rigole-t-il. Plus sérieusement, ce n’était pas du tout un objectif. Je pensais qu’il fallait trois étoiles Michelin ou être plus jeune. C’est juste incroyable. Nous sommes tellement heureux, avec toute l’équipe, que nous avons renforcée en passant Relais et Châteaux. Ça nous a donné une vraie dynamique supplémentaire depuis deux ans. J’ai assisté à la soirée de remise des récompenses à Paris. J’avoue, ensuite, nous avons fêté ça avec les copains : je n’ai pas beaucoup dormi cette nuit-là ! »
Pour autant, l’heure n’est pas à se reposer sur ses lauriers car « la force des grands, c’est de toujours se remettre en question ». Enfin, c’est ce qu’ils disent tous, en substance. Et c’est surtout ce qu’ils font.
Son : Olivier Nasti obtient sa deuxième étoile
*business is business : les affaires sont les affaires
Très bel article et belle philosophie de la gastronomie et du travail d’équipe vue par mr nasti que je ne manquerai. Pas de féliciter bientôt. Encore bravo à tous
Merci beaucoup. Oui, aller au Chambard est un véritable voyage. Ceci dit, ce n’est que le premier chapitre avec le chef Nasti . À bientôt pour le suivant.