Dans un appartement. Crédit photo : Frédérique Clément.

 

Notre agenceur Alexandre Nicola a ce regard pénétrant, derrière ses petites lunettes très intellectuelles, ces yeux très clairs qui brillent, scrutent, enregistrent. C’est un visuel, et un manuel. Oui, un tel alliage est possible quand on ressent aussi bien les matières et qu’on les accorde de façon aussi harmonieuse et originale. Mais d’abord, son parcours.

Alexandre Nicola agenceur mais d’abord chef cuisinier

 

J’ai commencé dans l’hôtellerie et la restauration très jeune. J’ai travaillé au Royal Club d’Évian, puis j’ai exercé au Crillon, à Paris, avec Christian Constant en cuisine et Christophe Felder en pâtisserie, au Bueheriesel de Strasbourg avec Antoine Westermann. Le monde de l’hôtellerie et de la restauration m’a toujours fasciné.

Depuis toujours, je suis attiré par le côté créatif, par le travail de la matière. Petit, je m’amusais à décorer la vitrine de la boulangerie de mon oncle, des appartements aussi. En sortant du Crillon, j’ai décoré le restaurant d’un des adjoints de Christian Constant. C’était ma première expérience de décoration dans ce secteur. C’était un peu « broc », dans un esprit bistro. Ça marchait très bien. J’ai tenu la salle du Cablo pendant deux ans.

 

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Une des salles du salon de thé chez Christian à Strasbourg, entièrement pensée par ADN. Crédit photo : Stéphane Spach.

 

Je suis ensuite parti à la Réunion, j’étais chef de cuisine d’un restaurant, Native. Un très bel établissement avec une magnifique terrasse. Là aussi, j’ai décoré, un truc de dingue. Et puis je suis retourné à Paris, et j’ai décoré Fontaine Fiacre, un autre restaurant tenu par deux frères. J’y étais aussi chef de cuisine. La maison avait été saluée par la critique, Le Gault&Millau et Gilles Pudlowski notamment. Et puis l’ambiance parisienne m’a lassé, de plus en plus pesante, de plus en plus dure. Et puis c’était sale ! Donc j’ai eu envie de partir, de me mettre au vert.

J’ai donc décidé de retourner à Strasbourg. Pendant un an et demi, j’ai travaillé dans un restaurant dans le quartier de Cronenbourg. Un des clients réguliers était Patrick Dinel. Et ce boulanger, qui avait créé le Pain de mon Grand Père, voulait lancer un restaurant. Nous avons donc travaillé ensemble sur le Bistro du Boulanger. Il m’a fait confiance pour la totalité du décor, intérieur et extérieur, avec une très chouette terrasse. J’y étais également chef de cuisine. Ça a été une belle aventure, avec un Bib Gourmand du guide Michelin (récompense un bon rapport qualité-prix) à la clé en 2013.

 

L’envie de changement plus forte

 

Le Bib Gourmand, c’était génial mais j’avais déjà envie d’autre chose, de me lancer en tant que décorateur et agenceur. Ça a duré un peu plus longtemps que prévu en cuisine. Et puis, à 40 ans, je me suis dit : « Si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais. » J’ai donc suivi une formation diplômante rapide à Paris, je voulais un diplôme d’état, même si personne ne pose cette question à un freelance. C’était une question de crédibilité. Et puis ensuite, j’ai monté la société seul à Paris et puis ma sœur Julie m’a rejoint au milieu de l’année 2016.

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Julie et Alexandre Nicolas forment l’agence ADN. Crédit photo : Paola Guigou.

 

C’est un travail énorme car il n’y a pas que la décoration. Il y a tout le côté chiffrage, dépôt de permis en mairie, etc. C’est assez dur quand on est seul, en tout cas à ce niveau, quand on s’occupe de chantiers pour des professionnels. C’est toute une logistique. La spécialisation dans la restauration et l’hôtellerie s’est faite naturellement, surtout en Alsace. À Paris, nous nous occupons surtout d’appartements à redécorer.

De nouveaux chantiers via les réseaux

 

Pour la Casserole à Strasbourg, j’ai rencontré Cédric (Kuster, son portrait ici) lors d’une soirée. Il m’avait dit qu’il souhaitait racheter l’établissement à Marylin et Eric Girardin. Au départ, Cédric voulait reprendre comme ça, sans changer l’identité du restaurant. Mais je lui ai quand même conseillé de tout changer, connaissant la férocité qui sévit parfois dans le milieu. Nous avons beaucoup discuté de ce qu’il voulait. Je ne parle jamais de décoration avec mes clients. Nous parlons surtout de leurs envies, de leurs besoins, de leurs attentes générales. Lui voulait une touche féminine mais pas trop marquée car il attendait beaucoup de déjeuners d’affaires le midi.

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La Casserole à Strasbourg. Un peu japonisant, un peu haute couture. Document remis.

 

Alors je suis plutôt parti sur de la haute-couture, de la délicatesse, sur une ambiance un peu japonisante. C’est un peu ma marque de fabrique, cette touche asiatique et XVIIIe. Je trouve qu’à ce moment-là, les arts décoratifs ont explosé. À mon sens, c’est ce qu’on a fait de plus beau. Tout simplement. Côté français en tout cas. Pas trop du côté allemand ou autrichien, plus baroque. L’art français possède une vraie identité entre la sobriété et l’excellence. J’aime beaucoup Fragonard par exemple. Mais la peinture et le design contemporains aussi. J’ai des goûts assez éclectiques, ce qui me permet de faire plein de choses différentes.

 

Comment gérer l’envie de différence et d’identité du client

 

Pour moi, épouser les envies des clients, ça se passe assez naturellement. Je ne sais pas bien comment l’expliquer. C’est une question d’instinct. Ici à la Casserole comme chez Christian (salon de thé très couru à Strasbourg, ndlr), on a beaucoup travaillé sur les matières. On a fait appel à des artistes et des artisans aussi. Je suis un chineur, et quand on chine de la sorte, on fait de belles rencontres.

Quand je vivais à Paris, je n’hésitais pas à aller dans des salons comme Maisons et Objets. J’allais à la rencontre des prescripteurs, des décorateurs, de ceux qui proposaient des luminaires, du tissu. J’ai toujours adoré cela. Et ces gens m’ont ouvert leurs portes alors que je n’étais pas du métier. Et maintenant, je travaille avec eux. Je ne sais pas quelle vision ils avaient de moi à l’époque, mais aujourd’hui, je pense que leur regard a changé. Mais ça reste bienveillant.

Pour la Casserole, par exemple, une artiste anglaise a été sollicitée pour une grande fresque. Elle s’appelle Helen Amy Murray, elle est très demandée, à travers le monde. Donc obtenir son travail a été long, ça a pris six mois. On a mis de belles choses en attendant, des voilages très couture. Il ne fallait pas que ça soit du provisoire qui ait l’air d’être provisoire. Les fresques qu’elle a réalisées sont en cuir tendu et en nubuck. Au toucher, c’est juste magique même si tout le monde n’est pas censé y toucher !

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Un détail de la fresque d’Helen Amy Murray pour La Casserole à Strasbourg. Quelle finesse. Document remis.

 

Ça fait partie de mon travail de trouver ces artistes que ce soit en décoration ou en arts de la table par exemple, qui vont plaire à mes clients et les démarquer, tout en respectant une ligne cohérente. Ce qui n’empêche pas de varier et d’associer les styles. C’est ça qui est à la fois complexe et intéressant, c’est de parvenir à conserver cette ligne tout en choisissant des pièces qui a priori n’ont rien à voir. C’est d’ailleurs ça qui me passionne. Décorer en un seul style, c’est juste de la facilité. Les jeux de matières sont très importants dans ce contexte.

 

Différence entre agenceur et décorateur

 

Un agenceur va toucher à tout, y compris aux murs. Beaucoup plus qu’un décorateur « simple ». On travaille vraiment du sol au plafond. On va aller solliciter un tailleur de pierre pour un sol, un lustre, un mur. Un bronzier pour réaliser des appliques murales. Notre métier, c’est aussi de rassembler tous ces artisans.

Et on touche aussi aux arts de la table, prolongement naturel de cette identité que notre client veut développer. Par exemple, ce service à chocolat pour le salon de thé. Cédric m’a aussi demandé conseil pour l’argenterie de la Casserole. Pour un autre restaurant, je travaille aussi sur les sets de table. Tout dépend du budget, mais l’objectif, c’est d’aller jusqu’au bout, jusqu’aux tenues des personnes qui font le service par exemple.

Ce qui me plairait, ce serait de travailler sur tout un établissement : hôtel, avec toutes les chambres bien différentes, restaurant, bar, spa, jardins. Ça, ce serait vraiment du bonheur. En quittant la cuisine, j’ai d’ailleurs hésité entre agenceur et paysagiste. Et puis je me suis dit que si j’étais agenceur, je pouvais être paysagiste. L’inverse étant nettement moins vrai. Il suffit de bien s’entourer.

 

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Une salle du Mouton à Ribeauvillé. Décoration plutôt roots, en bois. Document remis.

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Autre salle, autre ambiance au Mouton à Ribeauvillé. Plus rouge. Plus bistro. Plus patinée. Document remis.

 

Le diable des détails

 

C’est ce qu’il y a de plus important, les détails. C’est un peu une torture mais il faut vraiment faire attention à tout. Le mot « torture » est fort mais quand je suis dans un projet, je me torture vraiment l’esprit. Sa gymnastique – celle de l’esprit – est importante d’ailleurs. Quand on passe d’un projet à un autre dans la même journée, c’est très stimulant. Un bon coup de fouet pour le cerveau, ça booste. J’adore cet aspect de mon métier. C’est un marché de niches, donc un tout petit monde. Donc les détails, c’est très important.

 

Alors, plutôt Louvre ou musée d’Orsay ?

 

(Silence). Ah j’aime les deux, j’aime trop les deux. Même les lieux, j’aime les deux. Au Louvre, il y a des pièces fantastiques comme la Victoire de Samothrace en haut de son escalier. La partie sculpture… C’est très difficile, je ne peux pas trancher entre les deux.

http://adn-decorateur.fr/

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